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29/03/2015 10:28

A propos des chameaux de la haine - Par  Terno Monenembo, Prix Renaudot 2008
"D'AMOUR ET DE POESIE"


Qu’est ce qui nous reste quand tout est foutu ; que les ravages de la bêtise humaine ont démoli les repères et défiguré la réalité ? La littérature pardi ! Rien de mieux que les mots pour supporter l’insupportable, rien de mieux que la poésie pour rafraîchir notre âme et nous préserver de la déshumanisation qui nous guette.
L’époque  riche en pulsions guerrières et en idéologies nocives est une source inépuisable de cauchemars et de tourments. Par chance, certains d’entre nous résistent, ouvrent leurs cœurs et  élèvent leur frêle voix pour repousser la tentation de la rancœur et du dessèchement. Safi Bâ est de ceux- là. Cette négro- mauritanienne exilée en France prend prétexte du  drame subi par les siens en 1989 pour  nous livrer un joli petit plaidoyer pour un retour à ce que nous avons de meilleur : l’altruisme sans lequel la paix sera impossible aussi bien dans nos cœurs que   dans les rues de notre planétaire village.  Elle aurait pu s’inspirer du Rwanda ou de la Somalie, de la Côte d’Ivoire ou de l’Afghanistan voire de cette pauvre Libye qui de Syrte à Benghazi, se déchire sous nos yeux. Elle a préféré nous parler de la terre  qui l’a vue naître, celle qu’elle connaît le mieux mais c’est tout de suite pour nous rappeler  notre humaine condition soumise en n’importe quel coin de la terre   aux aléas du mépris, du dictat et de la discrimination.
Son livre, Les Chameaux de la haine,  est très originalement construit. Le recueil de poésie s’y juxtapose au roman, le récit y côtoie la fable.  Mais c’est une architecture fluide où les mots toujours simples et imagés  s’écoulent par les interstices  sans jamais perdre leur musique et leur saveur.
Nous sommes au lendemain de l’apocalypse. Les apôtres de l’exclusion on fini leurs prêches, les manieurs de machettes, leurs basse œuvres. Ils ont gagné, les salauds : les frontières passent au milieu des concessions, l’inimitié est sur tous les visages, les familles ont éclaté, le monde s’est disloqué.
Un seul endroit a gardé son sens après ce grand chambardement : la gare routière, cette belle métaphore de la croisée des destins. C’est là que l’écrivain ou plutôt l’écrivaine a décidé de se camoufler pour épier les faits et gestes d’une espèce humaine en désarroi.
Voici  Koddou s’enfuyant vers la « maison du monde » (entendez les Nations Unies) pour échapper  à ses poursuivants qui viennent de la décréter sénégalaise, c’est- à- dire venue de l’autre bout du monde, lointaine,  étrangère, absolument infréquentable.  Voici Madame Ba, la belle bourgeoise  qui au milieu de la foule en détresse ne songe qu’à ses robes et à se bijoux. Voici Néné Dyamiamo encombrée  du  cadavre de son mari  au milieu d’une ambulance  surchargée de passagers clandestins…Voici le pathétique club des intellectuels,  philosophes dérisoires perdus dans  leurs  discussions oiseuses autour de Voltaire et de Malcom X ,  incapables de comprendre ce qui se passe autour d’eux.
En quelques tableaux bien peints, Safi Bâ nous laisse entrevoir une multitude de personnages : des visages furtifs, des petits bouts de vie, des êtres comme vous et moi ayant gardé leurs tics et leurs petites manières jusqu’au milieu de l’enfer.

Livres ceux du sable